Une intervention d’urgence a été déployée pour aider dix-neuf travailleurs étrangers temporaires employés par une ferme, située à Saint-Jude en Montérégie, qui ne respectait pas leurs droits. Une opération qui s’est déroulée le 26 novembre 2021 et à laquelle ont participé le gouvernement du Canada, Immigrant Québec ainsi que le Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMAQ).
Une vingtaine de personnes sont intervenues dans des installations agricoles de Montérégie, raconte Agnès Merlin, responsable du projet de soutien aux travailleurs étrangers temporaires en période de COVID-19 chez Immigrant Québec. « Nous nous attendions à trouver 39 travailleurs guatémaltèques, mais finalement, il n’y avait que dix-neuf personnes sur place, car une vingtaine d’entre eux avaient pris l’avion la veille », explique celle qui a participé à l’opération menée entre autres par Service Canada, la Sûreté du Québec et le consulat du Guatemala. Ces travailleurs ont été sécurisés dans un hôtel et, dans les jours suivants, ont pu reprendre l’avion vers leur pays d’origine.
Un employeur connu de la justice
Déjà dans la mire des autorités, l’employeur devait plusieurs milliers de dollars à ses employés qui n’avaient pas été payés depuis trente à quarante-cinq jours, explique Michel Pilon, directeur général du RATTMAQ. « En moyenne, il [l’employeur, ndlr] leur doit 3 000 $ CAN. Et, même s’ils ne recevaient plus leur salaire, ils devaient quand même payer pour leur logement et leur nourriture. » Le propriétaire de la ferme devait aussi leur payer leur billet de retour, ce qui n’a pas été fait, ajoute-t-il.
De plus, l’employeur vendait les services de ses travailleurs à d’autres établissements agricoles, ce qui est illégal, précise Michel Pilon. « L’employeur se faisait payer 25 $ CAN l’heure, mais ne versait que le salaire minimum aux travailleurs. » D’ailleurs, en plus des dix-neuf travailleurs secourus lors de l’opération, dix autres avaient été transférés « sans leur consentement » à deux autres fermes, ajoute-t-il. Au moment d’écrire ces lignes, trois d’entre eux étaient en sécurité dans un logement d’urgence en attendant de voir leur demande de permis de travail ouvert approuvée. Trois autres avaient disparu et quatre autres devaient confirmer s’ils voulaient retourner au Guatemala tout de suite ou non.
Ce n’était d’ailleurs pas la première fois cette saison que cet employeur faisait l’objet de plaintes. Dès le début de la saison, il n’avait pas respecté la quarantaine des travailleurs, ce qui a mené à des éclosions de COVID-19, raconte Michel Pilon. « Nous sommes aussi intervenus plusieurs fois cet été et avons réussi à faire fermer deux maisons qui avaient de la moisissure et qui étaient totalement insalubres, avec la CNESST, la Sûreté du Québec et la santé publique. L’une d’elles sentait le rat mort et on avait l’impression que le plancher allait s’écrouler quand on y marchait. »
L’employeur, qui avait déjà un dossier criminel, a vu son droit d’obtenir un permis pour accueillir des travailleurs immigrants temporaires révoqué à vie. Il a aussi écopé d’une amende de 198 750 $ CAN. « On ne sait donc pas s’il va faire faillite et si les travailleurs vont pouvoir recouvrer les sommes dues », s’inquiète Michel Pilon. Le RATTMAQ les épaulera d’ailleurs pour porter plainte et tenter d’obtenir les sommes dues.
De l’aide concrète d’urgence
Après l’opération, le RATTMAQ et Immigrant Québec ont donc vingt-six travailleurs guatémaltèques sous leur aile. Les deux organismes ont fourni transport, nourriture, hébergement dans un hôtel et billets de retour aux travailleurs secourus dans la ferme de la Montérégie. Une prise en charge réalisée grâce au fonds d’urgence du projet d’information et de soutien aux travailleurs étrangers temporaires en période de COVID-19, coordonné par Immigrant Québec et financé par le gouvernement du Canada par le biais du Programme des travailleurs étrangers temporaires.
Pour Agnès Merlin, cette opération montre l’importance de ce projet déployé par seize organismes partout au Québec en 2021. « Les organismes présents sur le terrain ont fait un travail formidable pour informer et soutenir les travailleurs étrangers temporaires, notamment au sujet de leurs droits ; on voit que cela a porté ses fruits, puisque la situation à la ferme a fait l’objet de plusieurs plaintes. Au final, cela a des répercussions concrètes sur la vie des travailleurs étrangers temporaires », souligne-t-elle.
Même réaction du côté du RATTMAQ, qui a rencontré des milliers de travailleurs étrangers temporaires agricoles à leur arrivée à l’aéroport de Montréal grâce au soutien de ce projet. Depuis, le nombre de dossiers pris en charge par l’organisme a d’ailleurs fait un bond spectaculaire, selon Michel Pilon. « Maintenant, ces travailleurs nous connaissent tous, ce qui fait que, durant l’exercice financier 2020-2021, nous avons effectué 79 000 interventions par WhatsApp et déposé 49 plaintes. Et, jusqu’à maintenant pour 2021-2022, c’est 250 dossiers que nous pilotons. »
Du chemin reste à faire
Malgré cette avancée, bien du travail reste encore à accomplir, estime toutefois M. Pilon. « Bien sûr, ce ne sont pas tous les employeurs qui traitent mal leurs employés. Mais malheureusement, nous avons vu beaucoup d’horreur cet été. » Sans compter que plusieurs travailleurs ont peur de porter plainte, si bien que quand c’est le cas, « c’est la pointe de l’iceberg. » Il faut donc continuer à sensibiliser et accompagner ces travailleurs, estime-t-il.
Le programme de soutien aux travailleurs étrangers temporaires mis sur pied en décembre 2020 par le gouvernement du Canada a permis de rejoindre des milliers de travailleurs étrangers temporaires pendant les derniers mois, grâce à différentes activités d’accompagnement, de traduction, de sensibilisation ou de formation sur leurs droits, entre autres. Une contribution qui a permis à 16 organismes de déployer leurs actions dans les 17 régions du Québec, dans le cadre du projet coordonné par Immigrant Québec.