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Marie-Anne DAYÉ

Conceptrice - Rédactrice

Une ligne d’urgence pour contrer la traite des personnes

La traite des personnes est parfois difficile à reconnaître, et peut prendre plusieurs formes. Afin d’informer le public et d’aider les personnes impactées par ce crime, le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes a lancé une ligne d’urgence en 2019.

Texte Marie-Anne Dayé

Au Canada, les travailleurs étrangers temporaires à bas salaire et les personnes ayant un statut précaire sont plus vulnérables à la traite des personnes, plus particulièrement à l’exploitation sur le lieu du travail, selon Paola Carmagnani, spécialiste des partenariats au Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes. Ces personnes sont plus à risque de pratiques abusives car elles sont parfois isolées géographiquement, ne connaissent pas bien leurs droits en matière de travail au Canada et peuvent rencontrer des barrières linguistiques.

Diverses formes de la traite des personnes 

La traite des personnes est l’exploitation d’êtres humains pour le bénéfice financier ou matériel du trafiquant. Plus précisément, elle « implique généralement le recours à la force, à la fraude ou à la coercition pour exploiter des individus et les forcer à fournir du travail ou des services, y compris des services sexuels, au profit de quelqu’un d’autre », peut-on lire sur le site du Centre. La traite des personnes à des fins sexuelles et le travail forcé sont les formes les plus courantes de traite de personnes au Canada selon des données publiées en juillet 2023.

  1. La traite à des fins de travail forcé (ou travail forcé ou exploitation par le travail) se traduit par le recours à la fraude, à la violence, aux menaces ou aux mensonges pour obliger quelqu’un à travailler. Par exemple, des conditions de travail dangereuses, de l’abus ou de la discrimination, un salaire moins élevé que ce que stipule le contrat de travail peuvent être des indicateurs de traite.
  2. La traite à des fins d’exploitation sexuelle (ou exploitation sexuelle à des fins commerciales) consiste à forcer quelqu’un à fournir des services sexuels commerciaux au moyen de la manipulation, des mensonges, des menaces ou de la violence pour un gain personnel en échange de nourriture, d’un logement, d’argent, de drogue ou de transport par exemple.

En mai 2019, la Ligne d’urgence contre la traite des personnes (1 833 900-1010) a été mise en place pour contrer ce phénomène inquiétant. Entre 2019 et 2022, elle a reçu plus de 12 700 appels, et 1 500 cas de traite des personnes ont été identifiés partout au Canada, particulièrement en Ontario (67%), en Alberta (10%), en Colombie-Britannique (9%) et au Québec (7%); il s’agit des premières données nationales indépendantes sur la traite. En effet, au Canada, les données officielles du gouvernement publiées par Statistiques Canada reposent sur les cas qui ont été dénoncés à la police. De l’avis de Paola, la réalité est que le taux de dénonciation de ce crime est très bas. « Les statistiques officielles sont loin de capter l’ampleur de la problématique. La traite est bien présente au Canada, mais reste très mal comprise. Il y a encore beaucoup de fausses idées, de mésinformation ». 

Elle explique que la traite est souvent associée à l’image d’une personne qui est kidnappée, transportée au Canada contre son gré, ou encore séquestrée. Or, la réalité au Canada est toute autre. « Il est difficile de comprendre les stratégies de recrutement, d’isolement, de coercition, de contrôle, d’exploitation. Très souvent, la victime elle-même ne s’en rend pas compte », souligne Mme Carmagnani. « D’un côté, il y a la méconnaissance, et de l’autre côté, il y a un manque de formation spécialisée sur la traite à l’échelle nationale, y compris au sein de la police, ce qui fait que même eux passent à côté d’indicateurs très forts. Même si on est en pleine connaissance de tout, ça reste très difficile de prouver une coercition émotionnelle où il n’y a pas de preuve tangible », ajoute-t-elle.

Voici quelques indicateurs de travail forcé ou sous contrainte (à noter qu’il ne faut pas lire ces indicateurs de façon isolée. Il faut souvent une combinaison de plusieurs indicateurs).

  • Facturation des frais de recrutement au travailleur
  • Facturation des frais d’hébergement, de transport, etc. par un agent intermédiaire (ce qui peut être une façon de transférer la responsabilité légale) au travailleur
  • Non-respect des éléments sur le contrat de travail
  • Promesses de l’accès à la résidence permanente ou à la citoyenneté
  • Confiscation des documents personnels du travailleur tels que le passeport
  • Absence de contrat de travail
  • Menaces de déportation du travailleur dans son pays

Agences frauduleuses

Au Québec, toute agence de placement de personnel et de recrutement de travailleurs étrangers temporaires doit détenir un permis délivré par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Il est d’ailleurs possible de consulter le registre des titulaires de permis sur le site web de la CNESST. Toutefois, certaines agences enregistrées continuent, par exemple, de facturer des frais de recrutement à des travailleurs étrangers, peut-on constater dans un reportage diffusé le 26 octobre 2023 à l’émission Enquête à Radio-Canada, et ce, même si cela est interdit depuis 2020 au Québec. « On voit beaucoup de situations comme ça : fraude par rapport au système d’immigration, à la documentation, des acteurs qui se font passer pour des consultants en immigration régulés et enregistrés alors qu’ils ne le sont pas, tout ça dans le but de recevoir des commissions », se désole Paola Carmagnani.

Voies de sortie

Heureusement, des services sont accessibles pour les personnes victimes d’abus, de fraude ou d’exploitation, tels que la Ligne d’urgence canadienne contre la traite des personnes. Elle est gratuite, disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, en français et en anglais (un service d’interprétation téléphonique dans d’autres langues est disponible en tout temps). Elle est indépendante du gouvernement et des forces de l’ordre et peut être utilisée de façon complètement anonyme. L’agent.e qui répondra à l’appel fera une évaluation de la sécurité de la personne, l’aidera à trouver les services disponibles et à explorer les options, et pourra la mettre en contact avec des services localisés. La ligne d’urgence, à la demande de l’appelant, peut également faciliter le transfert d’information aux services de police, selon le cas. Ceci peut être fait de façon anonyme afin de protéger l’identité de la source. L’agent.e restera à la disposition de l’appelant pour un suivi et un soutien.

Il existe également un permis de séjour temporaire (PST) spécial pour les victimes de la traite de personnes n’ayant pas de statut juridique au Canada, qui accorde le statut d’immigrant temporaire pour 180 jours, mais renouvelable. Bien que ce permis soit un outil essentiel dans certains cas, il reste toutefois limité. En effet, il faut savoir que « c’est un permis qui ne permet pas le regroupement familial ou de quitter le pays », souligne Paola. De plus, s’il est relativement plus facile d’obtenir un premier permis de séjour temporaire, son renouvellement peut être difficile à obtenir. « Dans la recherche d’un nouvel emploi, le travailleur ou la travailleuse fait souvent face à des refus de la part d’employeurs qui ne voient pas ce type de permis de bon œil, explique-t-elle. Ce type de discrimination et de préjugés, associés au fait que les employeurs du même secteur peuvent se soutenir entre eux, ne facilite pas la démarche de rétablissement et de réinsertion professionnelle de la victime », poursuit-elle.

« Pour ces raisons, le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes demande au gouvernement du Canada de garantir que chaque travailleur et chaque travailleuse qui vient au Canada dispose d’un permis de travail ouvert, d’un accès égal aux services sociaux, d’une voie vers la résidence permanente et de la possibilité de se syndiquer. Ensemble, ces politiques élimineront le déséquilibre de pouvoir néfaste entre les employeurs et les travailleurs migrants qui facilite le trafic de main-d’œuvre », conclut Paola Carmagnani.

 

Le projet a été financé par le gouvernement du Canada.

Photo de couverture : Nadine Shaabana sur Unsplash

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